Les enfants de l'espoir

 

I

 

Deux enfants seuls marchaient lentement, tête basse. Leurs tristesses se tenaient par la main. Déjà le soleil descendait sur l’horizon que l’on apercevait, sombre dans la déchirure de la vallée.

 

Ce n’était que terre désolée : rocs déchiquetés et vent de poussière qui polissait les galets sans âge. Des masses de nuages laiteux émanaient du sol et se coulaient dans les fissures qui zébraient d’énormes pans de rochers rouges. Quelques éclairs fuligineux galopaient au bord de failles insondables. Le ciel était d’un bleu de métal.

 

D’un seul coup la petite fille s’immobilisa, les yeux agrandis : surpris, le petit garçon s’était arrêté à son tour et la regardait. Il n’avait rien vu. Elle le lui montra alors : un chemin se dessinait nettement, du bout de leurs souliers, serpentait dans la vallée, montait un escarpement, puis disparaissait au détour d’un bloc rougeâtre.

 

II

 

Ils couraient le long du sentier, l’un derrière l’autre, le garçon devant. Un sourire illuminait son visage quand il se retournait, et elle le lui rendait.

 

Hors d’haleine, ils durent s’asseoir par terre. Il y avait longtemps qu’ils avaient dépassé le bloc rougeâtre. Après la pente qu’ils avaient dévalée, ils escaladaient une paroi abrupte. À tout moment ils croyaient atteindre le sommet, qui chaque fois reculait. Leurs mentons se redressaient fièrement, une lumière étincelait dans leurs prunelles.

Brusquement le sol devint plat. Le chemin glissait doucement entre des collines qui moutonnaient. Au loin se profilait une gorge.

 

Il leur semblait que le ciel s’était rapproché. La marque du sentier était maintenant pailletée de cristaux transparents qui le transformaient en une buée blanche et vaporeuse. Une joie sereine les soulevait, ils ne marchaient plus, ils dansaient.

 

III

 

Cette fois ce fut le garçon qui s’arrêta en retenant sa compagne. Avant qu’elle eût compris, deux larmes roulèrent sur ses joues à lui.

La nuit était venue. Derrière eux le chemin s’était effacé. Devant, il n’y avait plus rien au bout de leurs souliers.

Ils se mirent à trembler. Ils étaient encore plus seuls maintenant. Seuls et perdus. Tout signe avait disparu.

Un froid brutal les saisit tandis qu’ils attendaient, serrés l’un contre l’autre dans l’obscurité, les yeux écarquillés de désespoir.

 

IV

 

Devant eux, ils ne savaient pas depuis combien de temps, était apparu un rocher étrange et doux. Il brillait dans la nuit d’un éclat faible et irisé du haut en bas : c’est pourquoi sa forme paraissait floue. En réalité multicolore, de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel se fondant les unes dans les autres, violet sombre aux extrémités, jaune orangé au centre et passant par toutes les nuances de bleu et de vert. Le rocher s’anima de vibrations lentes puis se mit à tournoyer sur lui-même

 

Les enfants, émerveillés, le suivirent. Il laissait derrière lui un poudroiement d’or. Leurs pas faisaient des volutes scintillantes.

C’est ainsi qu’ils s’engagèrent dans la gorge profonde.

 

Ils marchèrent longtemps. C’était comme si un fil ténu les reliait tous trois en une complicité tendre. Puis le rocher s’évanouit.

Ils se trouvaient devant une grotte dont l’ouverture, très étroite, laissait filtrer une lueur. Se faufilant, les deux enfants entrèrent.

 

V

 

La grotte était immense. Entièrement éclairée, de l’intérieur même de la pierre. Le sol était de sable fin, d’un blanc légèrement orangé et descendait jusqu’au bord d’un lac souterrain, comme un miroir transparent d’émeraude qui se perdait au loin dans des galeries sans nombre.

De la voûte pendaient des cristaux de toutes formes et de toutes couleurs. Chacun, du plus grand au plus petit, possédait son brillant particulier. Les yeux des deux enfants buvaient cette féerie. Le fond de la voûte, légèrement opaque, reflétait tous ces éclats colorés en les mêlant d’une façon si harmonieuse qu’une douce musique s’en échappait. Il y avait des espèces de colonnes formées de cristaux différents superposés qui, de place en place, rendaient des sons plus graves et plus modulés.

Les parois étaient ondulées comme des tuyaux d’orgue, d’une roche sombre au grain si fin qu’on aurait dit un tissu. Cela formait des plis ainsi qu’une tenture brillante et soyeuse d’un côté, mate et dense comme du velours de l’autre.

 

Immobiles, les deux enfants retenaient leur souffle devant tant de splendeur. Le bonheur qui émanait maintenant de leurs visages ne provenait pas tant de la richesse de ce qui les entourait que de son infinie douceur. Tout était harmonie depuis le sable jusqu’à cette musique inconnue.

 

VI

 

Lentement ils se sont assis. Alors ils ont vu, au centre de la grotte, au bord de l’eau, un bloc de pierre, ourlé et délicat comme une fleur. Son parfum d’ambre parvenait jusqu’à eux. D’un rose pâle, la pierre se transformait insensiblement. Elle se repliait d’un bord pour glisser de l’autre : ses fines nervures s’effacèrent, ses contours arrondis se firent arêtes effilées, sa surface se fondit en parois lisses et planes. Le rose pâlissait jusqu’à se diluer en une transparence de plus en plus pure.

Un instant la pierre apparut ainsi, d’une beauté parfaite, indicible.

 

La vue des deux enfants s’agrandissait, dépassait les limites de la vision, leurs coeurs se chauffaient, leurs âmes débordaient : expansion de joie intense. Quand sa pureté devint absolue, la pierre ne fut plus visible, sauf aux enfants. C’était une pierre d’espace.

 

C’était l’espoir. La grotte avait disparu. Seul l’espace infini de l’espoir nimbait les deux enfants d’une auréole de feu.