Dix jours en Bolivie

Juillet 1968


 

 

Oruro-Antofagasta

 

Tellement fatigués que nous avons changé nos billets pour deux couchettes. Toute la tradition britannique apparaît quand on nous ouvre la porte du compartiment : nous sommes indépendants, avec un petit lavabo particulier qui ne fonctionne pas – est-ce l’âge ou bien le gel ? –, entourés d’acajou et de cuivres brillants. Nous apprécions les draps propres et l’absence de puces : le fait qu’elles résistent à l’altitude et au froid a été un mystère que nous n’avons pu élucider au cours de ces dix jours. Il nous a même semblé qu’elles y gagnaient un surcroît d’affection pour l’espèce humaine.

 

 

La douane à nouveau : nous lisons attentivement le formulaire de déclaration. « Toute dénonciateur a droit à la moitié de ce qui est saisi et, en outre, reçoit une prime honorifique du gouvernement bolivien. » Suite logique des Bureaux de Dénonciations aperçus dans les villes et les campagnes. Est-ce là un moyen de maintenir un semblant de cohésion nationale et d’ordre social entre tant d’ethnies différentes ?...

 

 

C’est avec joie que nous retrouvons la poussière de l’Atacama, sa saveur dans la bouche et le mystère exaltant du désert. Sans nul doute, notre résistance à la misère qui cogne sur vous seconde après seconde n’est pas du même ordre ni de la même dimension que celle d’une personne dont nous avons bien vite oublié le nom et le visage. C’était à Paris dans un salon raffiné. Un enthousiasme non feint – l’habitude du snobisme trompe parfois – nous avait amené à raconter le peu que nous avions vu. Au moment de crier le quai de Rio Mulatos et ses Indiennes grelottantes, je fus interrompu : « Elles ont l’habitude. Parlez-moi donc de leurs chapeaux et de ces couleurs si pittoresques. »