Origines

L’inerte et le vivant

 

 

Il y a l’inerte. Il y a le vivant. L’inerte moribond, telle la bêtise au ras du sol, l’homme le doit à lui-même, stalactite pétrifiée. Pourtant, diras-tu, là est le mouvement, là est l’action, là est la vibration, là est la pensée. Apparente. Écorce de linceul.

 

Moi, je sais que là tout est perdu : des mots sonnants, rebondissants, acier cassant du vide. Le métal froid de l’intelligence gèle tout. Paralyse. Atrophie. L’inerte semble prendre corps au gré du vent fatal. Danse la marionnette au son de l’étrange, du mystérieux, du doute, de l’incrédulité, de la raison. Tapie, la vraie folie guette l’instant où la mort se remarquera, où l’oeil verra la disloquée. Mais le regard est si rare.

 

Le vivant s’occulte en lui. Foudroyant refuge du réel. Tout fuse. Dilution créatrice. Deux mots seulement et jamais pourquoi. Inutile à ce degré où les mondes frissonnent du même soleil. Deux mots : cela est. L’éther bondissant fracasse l’écume, transperce les espaces ondoyants. Le sourire vibre au gré du regard. La vie.

 


Le cheval noir

 

Sa crinière claquait au vent des oiseaux. Il les enlevait : les embruns de la course aux crêtes des vagues frappaient leurs deux visages. Elle le regardait, suspendue à son cou, et son regard disparaissait dans le sien. Parfois, il relevait la tête : ses yeux verts alors étaient bleus de son regard à elle.

Le monde se courba au galop, l’univers s’immobilisa. Car ils chevauchaient la lumière d’or.

Dans les espaces fusants du vertige, à l’angle de leurs regards, la prairie au matin est plus scintillante de rosée. Quelques perles au bord des toiles d’araignée. La brume s’effiloche, la mer fume autour des icebergs. Les déserts se tassent sous le froid de la nuit. Mais tout est de flamme. La cascade et la foudre, la lune dans les fleurs et l’horizon palpitant.

 

Les villes monstrueuses ne sont que des bulles roses, les machines inexorables des petits scarabées multicolores. Les humains cruels en crapauds tapis dans la vase bleue. Les bons, comme les plumes d’oiseaux de paradis, forment une danse chatoyante.

 

La mort en gloire d’étincelles. L’acier mortel du glaive de la bêtise. Mais tout est de flamme. La grotte de cristal, le sang, les profondeurs, les mains. Le sommeil est assis au bord de l’eau, quand la joie nimbe de vert les clochers d’antan. Minuit.

Le chant grave coulait sur l’onde endormie. Tout reposait : l’univers bascula d’un coup dans l’abîme sans fin. Mais le cheval noir fuyait, la bave moussant aux commissures des lèvres.

 

Ainsi ils arrivèrent dans le rouge. La vibration intense clouait les sabots. Pourtant, la cadence irradiait leurs cheveux, est-ce là le vrai ?, en flocons épais, la lave gicla si haut que le cheval hennit des pervenches.

 

L’aurore pâle frissonne sur l’arête de l’éternité. Il retient sa course. Puis d’un bond gigantesque, le cheval noir les enlève au-delà du vent. Seules restent en suspens les poussières d’or du sillage de leurs regards.

Au coeur de la rose vermeille.


Elle sautait... dansait

 

 

Elle sautait, bondissait, s’élançait, montait, galopait, descendait.

Elle dansait, virevoltait, tournoyait, s’arrêtait, glissait, repartait.

Elle chantait, se taisait, parlait, riait, criait, fredonnait.

Sa lumière intérieure diffusait en éclat chaud, d’un blanc proche du rose, intense.

À mesure que sa joie irradiait dans l’infini, la force de la clarté étincelante augmentait.

 

C’était comme un bloc cde cristal givré. Des stalactites jaillissaient, sans faille, transparentes. L’espace bondissait à sa rencontre, elle accourait vers le point défini en coordonnées multicolores.

 

Maintenant, les effluves qu’elle avait pressentis tourbillonnaient en gerbes. La spirale se rapprochait par vagues d’écume floconneuse. Un frisson dense faisait miroiter l’univers.

 

Les pétales du polyèdre fusèrent aux angles de l’absolu. Les bords nets approchaient. Puis ce furent les geysers d’oiseaux bigarrés.

 

Depuis combien de temps voyageait-elle ? Une dilatation pimpante résonnait en ondes dans l’atmosphère limpide : c’était la musique des papillons tigre-roux.

 

Elle s’immobilisa parce que tout confluait vers elle en une sensation totale. Elle attendait, tendrement blottie au creux du vent sidéral. Alors, un jour, tout convergea vers eux, à partir d’elle.

 

C’est ainsi que l’Etoile fut perceptible aux hommes.

 


La naissance du feu

 

 

I

 

C’était comme une nappe traversée de clartés fuligineuses. Au-delà s’étendait une nébuleuse de points brillants se détachant sur ce qui semblait être des pans violet sombre, s’approfondissant jusqu’au noir.

En deçà des courants irisés s’entrecroisaient en tous sens. Il n’y avait ni profondeur ni auteur, la nappe elle-même échappait à toute limite.

La seule masse était le silence. Densité compacte, parsemée d’arêtes aigues en sa texture interne, totalement présente : sans adhérer ni englober, là au coeur même des nuances de lumière.

Point de contour : le mouvement d’une spirale dont l’orientation se modifiait de façon permanente, précédé par une translation ou un décroché ou autre chose, suivi d’une glissade, d’un va et vient, d’autre chose, repris par la spirale condensée en cercle ou dilatée en fil, étiré brusquement ou doucement par une parallèle surgie. Mouvement continu.

Là, l’immobile est absent. Une force dans une tension tendre naît là, ou bien là en raison d’elle ? C’était comme une nappe traversée de clartés fuligineuses.

 

 

II

 

Il y avait un seuil. D’une absolue précision. Car au passage jaillissaient des gerbes de densité ponctuelle. Brutalement rompu, le silence se trouait de frises chuintées, se concentrait en explosions sèches.

 

Le mouvement dérapait subitement, sinuosités palpitantes aux amplitudes multipliées. Des irisations naissaient, coulées, givrées, où s’entrecroisaient des frémissements. En ondées brèves, la couleur dessinait des formes instantanément happées, tandis que mille aiguilles étincelaient d’un éclat de métal. Des craquements du mouvement suintaient des trombes. Pourtant, une sensation de compact émanait de ces métamorphoses. Comme la tentation d’une masse, issue du seuil. Mais aussitôt démenties, des arabesques déroulaient, enroulaient leurs traces, lignes enveloppées venues de nulle part, sans pourtour. Une pulsation noyait les sons, hallucinait le temps.

La nappe, seule identique à elle-même, vibrait de clartés fuligineuses.

 

 

III

 

Peu à peu, le mouvement émiettait un thème. D’abord ce fut une répétition. Un même aspect survenait une seconde fois. Coïncidence vertigineuse : par-delà la naissance du temps, était-ce l’origine ? Une fraction de fulgurances brisées en une infinité de panaches effrangés. Partout à la fois.

Puis une densité sifflante, invisible, dont les bonds irritaient l’espace. Présence massue, qui essaimait des chocs, des frictions aiguisés, des tourbillons brefs.

Puis des filaments épais s’amincissaient en fuseaux, s’évanouissaient.

Puis le noir absolu, plein, lourd.

Puis le blanc.

 

La nappe dévoilait des clartés fuligineuses en trouées. Au centre, la nébuleuse : luminescente, immobile.

La fixité définissait un contour.

 

 

IV

 

La nébuleuse figeait tout bruit, abolissait le mouvement. Glacier lisse, transparent comme le vide, abyssal.

Imprévisible, la dilatation ténue du contour accentuait l’immobile. Ce fut une sorte d’écarquillement lent, sans une ride, interminablement.

Mais quand le pourtour eut débordé toute limite, un trait fila roide, rapide.

Vitesse extrême, vertige : Des rais de luminosités défilaient en tracés indicibles. Des éclatements de couleurs émiettaient des particules fugaces. Un son unique heurtait les frottements. La profondeur se modulait soudain, au détour d’une hyperbole percutant l’aigu.

La nébuleuse dévorait l’espace entier. Partout. D’un coup, plus rien. Silence net. Une brillance sèche coulait sa lueur contre une masse immobile, précise.

Alors réapparurent les clartés fuligineuses.

 

 

V

 

La sphère développait sa surface incertaine. Des étendues lisses reflétaient comme une nappe bleutée, dont certaines nuances tendres révélaient une force patiente et douce. Cela provenait de l’extérieur, à un niveau imprécis, alors que le sol était d’un acier de glace.

Ailleurs des reliefs dressaient leurs cristaux aiguisés, d’une pâleur de songe. Des parois échafaudaient des ravins insondables. Parfois c’était un hérissement d’aiguilles, parfois des facettes entrecoupées, géométriques. Ici, translucide. Là, opaque.

Mais d’un bleu si dense que l’immobile tendait vers l’immuable. La sphère était. Son poids sombre annihilait le temps au creux de la nuit noire.

 

 

VI

 

Longtemps, le silence se prolongea. Un instant minime, d’un point infime, l’irradiation cingla de blanc suraigu. Tout, brutalement noyé, baignait dans l’éclat.

Autour du point, une contraction incandescente vibrait. De là surgissaient des spasmes d’anneaux de feu. L’énergie en fusion criblait l’immensité d’orages orangés. Une sorte de martèlement liquide rougeoyait en bulles incalculables.

Longtemps le silence se prolongea. Comme d’intenses glacis laqués, les ondes franchirent la distance. Ce fut une explosion indéfinie, la paume de lacs que la lumière fracassait.

Des éclatements déchiquetèrent les tonalités. La chaleur éparpillée dissolvait la matière, qui rebondissait, corpusculaire, zébrée d’éclairs multicolores.

Lentement, la fission s’apaisa. Le point, mué en disque, oscillait le rayonnement.