Chili et Bolivie

 


Tilomonte

 

La poussière tourbillonnait derrière la voiture, montait en volutes touffues où jouait la lumière du soleil matinal. Nous venions d’abandonner les végétations ultimes de l’oasis déjà moins vertes, l’ombre et les moineaux alertes.

 

Ce fut une herbe jaunâtre, d’abord sèche et drue puis réduite à l’état de mousse, de chaque côté de la piste. Devant, le salar irisé, jusqu’à la brume indécise où se devinaient des montagnes bleues dans le gris léger de l’horizon. Le regard, vers la cordillère, escaladait les laves ocre pour aboutir aux volcans imperturbables. Il y avait deux immensités qui dansaient dans la poitrine, écarquillaient nos yeux et faisaient frémir la peau : le salar bordé par le plateau minéral et ces volcans qui tailladaient le ciel pur de l’altitude.

 

Quand il n’y eut plus de poussière, le salar scintilla, blanc et cristallisé. La piste sinuait, lisse tout à coup de sel usé. Arrêtés, comme appelés par l’étendue : le vent appliquait sur nous sa large paume. Le vent libre, débridé, densifiait le silence exaltant.

 

Nous fûmes soulevés et courûmes jusqu’à en perdre le souffle. Une joie colossale illuminait le cops et la pensée. Infimes et solitaires, mais géants des temps ouverts par l’espace. Car l’Atacama n’écrase point l’homme.

 

Silencieux, nous buvions le silence. Il est des hauteurs au-delà de la parole. Pauvres sont alors les mots.

 

Insensiblement, la pureté de l’atmosphère se troublait. Le salar nous entourait d’une chape de chaleur vibrante. La réverbération tremblait devant nos yeux. Le soleil cognait à la verticale. À mesure que la respiration haletait et que l’étau incandescent serrait sa poigne de fer sur les os, les montagnes s’éloignaient, imprécises.

 

Puis ce furent les cailloux, comme des longues files de moraines aux blocs éclatés. Les arêtes érodées, cette multitude de galets marins accourait, multicolore, jusqu’aux abords de la piste. Ruban nu, elle coupait en droite ligne telle la cicatrice d’une brûlure.

 

Elle s’estompa aux approches du sable. À nouveau la poussière et son goût dans la bouche, au bord des lèvres et des narines. La tache verte de l’oasis de Tilomonte surgit entre les dunes, adossée à la montagne veinée d’onyx.

 

Quelques oiseaux inconstants voletèrent au travers des arbres et des arbustes. Le sable nous immobilisa au centre d’une large voie que l’ombre n’atteignait pas. On devinait, dans les taillis, la présence d’enfants.

 

Il vint vers nous, son pantalon blanc et sa chemise bleue propres comme la lumière de là-haut.

 

Immobile, en plein dans le soleil, farouche, il attendait. J’allai à la rencontre de cette peau obscure, de ces rides que la barbe grise envahissait.

 

À quelques pas, arrêté, je voyais la bible. Et lui, que distinguait-il ?

 

C’est alors que l’Homme apparut. Nos regards plongèrent l’un dans l’autre un instant imperceptible.

 

Le sourire vint avec un ample geste du bras qui désignait l’oasis.

 

« Senor, je n’ai rien. Vous êtes chez vous. Je vous offre mon ombre et mon eau. »

 

Son toit de branchages était la demeure d’un roi.