Chili et Bolivie

 


Kaleouche

 

 

Silencieusement le bateau se coule sur l’eau calme entre les îles. Tapis dans leur Kaleouche, les Kaleouches écoutent. Les bonnes gens dorment. Peut-être une plate va-t-elle déboucher d’une crique ? Alors...

 

Les deux frères ont décidé d’emmener leur jeune soeur. La lune est haute : il n’y aura pas de vagues, seulement les friselis de la plate. Emma regarde la lune danser à mesure qu’ils s’éloignent de la crique, et les étoiles dans l’écume frêle. Fête de jongleries au balancement de l’eau. Au bout du rayon qui suit la crête de l’ondulation, la coupure du grand bateau immobile avec toutes ses lumières. Emma ne voit personne. Les frères murmurent « Kaleouche », blêmes. Dans leur panique, ils oublient Emma dont les yeux fascinés fixent le bateau plein d’étoiles aussi, qui se rapproche dans la nuit.

 

Maintenant elle ne regarde pas ses frères : ils sont étrangers, leurs yeux glauques ne voient plus rien. « La peur », disent les Kaleouches. Emma observe les algues balancées de leurs cheveux, leurs regards verts, leur sourire un peu triste. Quand il plonge au milieu de la mer le grand bateau est loin des îles. La ville est petite, entourant la grand’rue où personne ne se promène. Il n’y a pas d’enfants et ses amis Kaleouches sont partis. Mais partout des fleurs aux pétales mouvants. Les maisons brillent, or et pierreries luminescentes. Emma danse au bout des herbes, la tête levée vers les étoiles multicolores qui sillonnent tellement vite le ciel transparent. Un Kaléouche très important s’approche avec dignité. Il a une grande cape rouge qui retombe sur les roues de feu de son char tiré doucement par sept chevaux noirs se tenant droits. Les trois dents de sa fourche fument de chaleur. « Où vas-tu ? » : « Voilà, je vais te dire mon secret ». Emma approche son oreille : « Le feu, l’or, le soleil. » Elle rit avec lui : « Comme les poupées. »

 

Jamais ne reviendront ses frères.

Emma s’en va, sautillant le long du chemin. Ici, il n’y a pas d’étoiles ni d’herbe pour s’amuser. Pourtant ses joues rient de ses yeux. Màma !

 

Elle est morte, là, debout, par le long hurlement d’épouvante de sa mère. La peur, disent les Kaleouches.

 

 

La vieille suce le maté brûlant. « Ma soeur est revenue une seule fois de chez eux. Dans sa maison, ils ont bu, mangé et dansé. C’est le pacte. Moi, je suis entrée, n’ai vu que des pierres. C’était donc bien eux, car c’est ce qu’ils laissent en s’évanouissant. Depuis, je suis malade. » Elle me tend le maté. « Vous savez, leur ville enchantée est pleine de richesses. Mais il ne faut pas parler d’eux. »

 

La peur, disent les Kaleouches.