L'enfant et l'oiseau

 

 

La pluie glacée faisait monter du sol une vapeur légère, diaphane, tremblante : son mouvement estompait les contours du matin.

 

Ainsi le regard se diffusait aux arêtes imprécises de la ville, aux façades fondues, aux buissons moirés. Un flottement imperceptible imprégnait les êtres et les choses, que seul le froid préservait de la dilution du rêve.

 

La clarté du jour est là. Je la vois qui se plaque sur les vitres de l’immeuble d’en face, au-delà des buissons, de la petite pelouse et des trois conifères qui m’en séparent. La buée dessine des volumes irréguliers sur les rectangles identiques.

 

Soudain une main écarte la buée. Dans cet épais quartier de lune paraissent une mèche et deux yeux. Dessous un point rose, et plus bas le trait de la bouche.

 

L’enfant regarde. À droite, puis à gauche, devant et plus loin. Ave c précaution posément, lentement, il scrute. Et voilà que les sourcils sont montés, que la bouche s’incurve : trois petites lunes autour du nez, trois sourires d’un coup.

Maintenant plus rien. Un espace sombre sur la vitre embuée.

 

D’un seul élan, il est sorti, son sourire dans le corps, sur le visage, devant lui, même. Je vois ce sourire : plus il s’efface, plus il s’étale autour de lui.

L’enfant ralentit son mouvement, arrête presque sa marche, fait mine de flâner. Le nez en l’air, d’un pied sur l’autre, volontairement distrait ; mais concentré, attentif de l’intérieur.

 

C’est alors que je vois l’oiseau. Un moineau ébouriffé sur la pelouse du talus, immobile.

Son sourire devenu très tendre, insensiblement l’enfant se rapproche de l’oiseau.

 

 

- Ah ! te voilà ! J’avais mis mes plumes claires sur le fond sombre de l’herbe, mais comment savoir si tu m’avais vu ? Là, je suis fixé. Il suffit de te regarder sortir, il suffit de voir ce sourire qui est même sorti avant toi...

Mais viens donc, qu’est-ce que tu attends ? Pourquoi faire semblant, pourquoi faire des manières avec moi, tu sais bien que je t’attends, que je ne vais pas m’en aller, dis, tu ne le sais pas ? Oh, juste un petit saut de côté si tu es brusque, mais tu ne le seras pas. Alors, dépêche-toi, ne me fais pas lanterner, j’ai envie de parler, moi aussi.

Voilà, continue à avancer.. Comme ça, c’est bien. »

 

 

C’est lui cette fois, c’est bien lui. Vite. Dehors. Pourvu qu’il ne s’échappe pas.

 

Ouf ! Il est là... Pas trop vite. Non, doucement... tu ne dois pas l’effrayer... il est si petit, tu dois faire semblant... ne pas le regarder tout de suite... tu fais un détour... voilà.

 

Il n’a pas bougé, ça va... Approche, lentement, très lentement... Bon... Comme ça, c’est bon... Je t’aime... Oiseau. Tu... Tu seras mon ami ?

 

« - Bonjour..., dit l’enfant, tu es joli.

- Bonjour, dit l’oiseau, dis, tu ne vas pas à l’école ce matin ?

- Non, c’est mercredi. »

 

 

« - Tu n’as pas froid... avec ce temps ?

- Oh non, j’ai plein de plumes, tu sais.

- Mais... pourquoi... tu les mets en boule ?

- Pour faire joli. Ça te plaît ? Tu sais, je peux faire comme je veux, et changer.

- Non, non... Reste comme ça... Je peux... je peux... te toucher ?

- Oui... Mais chut... Ecoute-moi. Reste là, prends tout ton temps. Ouvre ta paume, pose-la sur l’herbe du talus. Voilà... Regarde-moi. Ne bouge pas, j’arrive... Voilà. Ne parle plus. J’ai chaud de toi, tu as chaud de moi. »

 

 

Ils sont tout près. Il lui parle, ils se parlent, immobiles, sourire contre sourire.

Puis je vois : l’oiseau s’ébouriffe au creux de sa main, et l’enfant se blottit autour de lui.

Je ne sais comment cet espace clos – la main, la boule de plumes, les regards de l’oiseau, de l’enfant – irradie, efface la ville, les maisons ont disparu dans le sol, les gens dans le ciel, l’herbe est toujours là.

 

 

L’enfant, joyeux, s’éloigne du talus à cloche-pied. L’oiseau, envols brefs, part à saute-mouton, joyeux.

Tout est à sa place, l’immeuble d’en face, les buissons la petite pelouse et les trois conifères. Rien n’est pareil, pourtant. Je vois le soleil se refléter sur les vitres, parler d’or l’herbe du talus. Mais c’est une autre lumière qui jaillit maintenant ; vibrante ; douce, tendre.

 

 

Le soleil inondait la ville et faisait fumer le sol encore froid de la pluie matinale. Les êtres et les choses se réchauffaient lentement aux rayons qui modelaient les contours, tranchaient l’ombre dansaient dans le ciel bleu.